Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain, David Colon (2020)
Dernière mise à jour : 18 juin

Nous publions ici, avec l'aimable autorisation de son auteur Jean-Pierre Chamoux, une recension écrite pour la revue Communications .
Sur le même ouvrage, vous pouvez également lire la recension de Marc Hecker pour la revue Politique Étrangère, ou encore la conférence réalisée par l'auteur à l'université de Caen.

Cet assez gros ouvrage est l’œuvre d’un historien qui enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris. Agrégé d’histoire, David Colon1 est associé au Centre d’histoire de Sciences Po. La propagande politique, la communication et les relations publiques sont ses centres d’intérêt, ce que confirment les 21 chapitres du livre, organisé en quatre grandes parties :
Fabrique du consentement
« viol des foules » (Tchakhotine, 1992 et 1939)
Triomphe de l’image
Propagande à l’ère de la post-vérité
L’introduction expose les motifs du livre : « Quelques idées reçues sur la propagande ». L’auteur fait largement référence à Jacques Ellul (1990/1963 et 1966) qui apparaît, au fil des pages, comme l’un de ses principaux inspirateurs. Apparaissent aussi le psychosociologue Gustave Le Bon (1895) et le criminologue Gabriel Tarde (1905). Une brève conclusion (« L’âge de la propagande totale ») termine l’ouvrage complété par une abondante bibliographie (plus de 200 références, principalement de langue française), un index général ainsi que d’importantes notes répertoriées en fin de volume, comme l’exigent (trop souvent à mon goût !) bien des éditeurs de nos jours !
Le propos liminaire de David Colon expose des idées reçues sur la propagande, qu’il résume ainsi :
La propagande serait-elle l’apanage des régimes autoritaires ? Suivant l’opinion d’Ellul ou de Lasswell, probablement pas !
La propagande est-elle politique par essence ? Non car elle concerne aussi bien les relations publiques ou commerciales que des sujets politiques.
Que cherche un propagandiste ? À endoctriner sa cible, mais aussi à la convaincre d’agir, d’adopter une mode (le yoga ou le bio, par exemple) qui se répand par prosélytisme et par esprit d’imitation (rôle des influenceurs des réseaux sociaux, par exemple).
La propagande est-elle nécessairement déloyale, mensongère ou trompeuse ? Suivant à nouveau Ellul, dont l’engagement moral et théologique est bien connu, la réponse de l’auteur est nuancée et rebondit sur une autre interrogation.
La propagande est-elle perverse en soi ? Peut-être, dit-il, lorsqu’elle agit de façon subreptice (comme l’image subliminale) ou si elle conditionne sa cible comme les réseaux sociaux sont présumés le faire sur la jeunesse ; mais, a contrario, la propagande n’est-elle pas légitime afin de déstabiliser un régime tyrannique ?
Sixième et dernier lieu commun : la propagande se borne-t-elle aux populations incultes des campagnes ou des usines que l’on considéra longtemps comme sa cible privilégiée ? Non. Comme Ellul, Colon souligne que les « propagandes évoluées » aident les CSP+ urbains « à sortir de (leur) solitude » (p. 18). Elle agit donc sur un champ très ouvert.
Les pionniers : « fabriquer l’opinion ! »
Les trois premiers chapitres portent sur l’acception moderne de la propagande. Après avoir rappelé l’approche psychosociale du XIXe siècle illustrée par Le Bon et Tarde, Colon souligne que le behaviorisme pavlovien et la psychanalyse freudienne ont inspiré la propagande au XXe siècle. Une importante littérature exploite ces corpus importés aux États-Unis par des intellectuels venus d’Europe. Neveu de Freud, Edward Bernays fut le prosélyte d’un « gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays » grâce aux « techniques issues des sciences sociales » qui permettent de « manipuler des masses inaptes à exercer le rôle de citoyen » (p. 33)2 ! Cette première partie cite aussi le brillant chroniqueur Walter Lippman, auteur de l’expression « manufacture of consent », ainsi que l’universitaire Harold Lasswell, séduisant mais parfois péremptoire, qui suggérait que la « piqûre hypodermique » conditionne le receveur, une hypothèse behavioriste à laquelle tiennent encore beaucoup de spécialistes de l’information et de la communication, nous le verrons plus loin.
Le chapitre II (« Comment vendre la société de consommation ») touche à la communication commerciale (publicité, marketing, études de marché, comportement du consommateur) plutôt qu’à la propagande politique évoquée précédemment. Il s’agit de la réclame et des relations publiques ; il aborde aussi la protection du consommateur, sujet non politique3. L’auteur examine ces questions à partir d’un regard assez anachronique : il relie l’American Way of Life des années 1930 à 1950 à des repères bien postérieurs. Ce qui entraîne une interprétation biaisée du conformisme étatsunien de l’immédiat après-guerre ! Le chapitre III tente d’associer la propagande avec la fabrique du conformisme. L’auteur aurait pu se référer à Jean Stoetzel (1963, notamment chapitre XVIII ; Valade, 2007) qui expliqua très clairement pourquoi l’agrégat psychosociologique que l’on nomme « opinion publique », produit d’une synthèse pluridisciplinaire, fit beaucoup progresser la compréhension du monde social ! En définitive, ce chapitre est assez sommaire.
Titré « Modèle de propagande en démocratie », le chapitre IV qui conclut la première partie du livre aborde deux sujets : la concentration des médias et la publicité qui les finance. Dans une perspective assez bourdieusienne, l’auteur semble omettre que l’argent est nécessaire pour assurer la pérennité d’un média et qu’il en faut beaucoup pour surmonter les mutations technologiques qui menacent la presse écrite depuis trois quarts de siècle. Faute d’un actionnariat assez solide pour résister à la disruption, les médias peuvent-ils survivre aux imprévus créés par le numérique ? Cette première partie du livre réduit la propagande politique à la manipulation du peuple par une oligarchie ; cela place la publicité commerciale et la propagande politique dans un même panier. Il est peut-être vrai que notre société est menacée d’éclatement. Faut-il, pour autant, mettre son drapeau en berne ? La suite de l’ouvrage n’est pas très optimiste.
La manipulation politique : viol des foules ?
Cette partie couvre quatre thèmes : au chapitre V, la propagande politique, au chapitre IV, la publicité commerciale, au chapitre VII, l’influence de la propagande sur la conduite et sur le comportement individuel, aux chapitres VIII et IX, le langage et la rhétorique. Associer tous ces sujets avec une manipulation généralisée est sans doute excessif ; c’est pourtant l’axe choisi par l’auteur, qui poursuit ainsi le propos annoncé au chapitre IV.
Primus inter pares. Priorité à la communication politique que les pavloviens comme Serge Tchakhotine (1992, 1939) ont associée à une forme de propagande que les communistes russes et les nationaux-socialistes allemands pratiquèrent assidûment : une mobilisation de masse et des agitateurs lancent des slogans facilement mémorisables, repris en cœur par des manifestants entraînés, fondement de l’agit-prop. Mais la propagande politique se résume-t-elle à ce seul stéréotype ? Malgré les mots subtils de Jean-Marie Domenach, « au lieu d’être violé, le public est séduit, caressé [car] des techniques douces remplacent des techniques dures ! » (cité p. 107), David Colon semble convaincu que le récepteur réagit à la propagande par un simple réflexe conditionné, une situation trop simple pour être admise dans un régime de pluralisme politique. Qu’advient-il, en effet, dans une démocratie apaisée ? L’expression imagée de Paul Lazarsfeld, « two step communication », suggère que, lorsque la propagande politique se déploie dans le cadre contradictoire qui prévaut en temps de paix dans les démocraties occidentales, elle n’exerce pas d’effet mécanique sur l’électeur ; c’est pourquoi, par exemple, les présidents de la République ne se fabriquent pas d’une façon secrète et inéluctable dans des officines, comme le laisse entendre naïvement la dernière section du chapitre V. En France, malgré leur talent naturel, ni Lecanuet en 1965 ni Balladur en 1995 n’ont été élus à la présidence. Le suffrage universel conserve donc quelques mystères ; il n’est pas réductible à une mécanique pavlovienne, n’en déplaise aux gourous qui propagent ce mythe depuis un siècle.
Le chapitre VI porte sur la communication commerciale et sur les relations publiques ; il s’ouvre sur une affirmation curieuse : les neurosciences auraient confirmé le « viol des foules » au début du XXIe siècle ! L’auteur s’appuie, à ce propos, sur Bernays, évoqué en introduction, et sur des psychosociologues étatsuniens de la première moitié du XXe siècle. Suivant Vance Packard (1957)6, Colon s’attache donc à une conception rustique du message publicitaire et de son influence sur les comportements réels (Chebat et Grenon, 1979). Le chapitre VII poursuit sur les conduites ; il insiste à nouveau sur leur manipulation : « […] l’État-précaution, écrit-il, réglemente des conduites qui […] relevaient strictement de la sphère privée » (p. 127). Il cite à ce propos le libéral Mathieu Laine (2010), Michel Foucault (1975) et Gilles Deleuze (1990) traitant de la « société de contrôle », sans éclairer vraiment le sujet. En fin de chapitre, il cite la méthode des influenceurs (dite du nudge) qui suggèrent à ceux qui les suivent de les imiter, une façon tout à fait classique de faire la mode.
Les pages suivantes portent sur le langage (chapitre VIII : « La parole manipulatoire ») et sur la rhétorique du discours (chapitre IX : « L’âge narratif »), deux sujets classiques, bien antérieurs au multimédia foisonnant dans lequel nous baignons désormais7. Ces deux chapitres compilent de multiples sources, sans dégager d’idée dominante. À défaut d’une synthèse qui aurait permis d’évaluer l’influence de la communication politique et publique sur les conduites contemporaines, ce récit entretient une légende que les conseillers de l’ombre ont évidemment intérêt à soutenir. La vraie question reviendrait à déterminer expérimentalement si, oui ou non, la méthode de ces conseilleurs politiques leur permettrait de commander aux peuples. Or l’influence des « maîtres de la propagande » est, dans les faits, entachée d’incertitude, sauf lorsqu’ils relaient la parole et la tyrannie de leur maître qui est toujours péremptoire : « Je les conduirais à la schlague, moi, tous ces gars-là ! » a dit Aragon. Qui est le mieux armé pour réussir une telle synthèse ? Un jeune historien comme Colon ou un politologue expérimenté comme Lazarsfeld ?
Le triomphe de l’image
Les six chapitres de la troisième partie passent en revue les médias illustrés qui colportent à la fois de la propagande et de la publicité : affiches, dessins et photographies, d’une part (chapitres X et XI), salles obscures et petit écran, d’autre part (chapitres XII et XIII). Le chapitre XIV étudie l’effet persuasif du petit écran et le chapitre XV, les rapports entre la guerre et l’image.
Le chapitre X se concentre sur l’art politique, un oxymore qui symbolise l’enrôlement de l’artiste par les propagandistes, en temps de révolution, de crise ou de conflit armé notamment. Il aurait pu rappeler que les thèmes religieux ont toujours guidé la main et le talent des artistes dont les œuvres peuplent les musées et les lieux de culte du monde entier. Et que les récits mythologiques ont inspiré la sculpture, la peinture et la gravure depuis la Haute Antiquité, au moins autant que les dirigeants politiques. La grande peinture italienne ou hollandaise le fit avec éclat depuis la Renaissance. L’auteur indique à juste titre que l’image accompagna bien des révolutions depuis le XVIIIe siècle : révolte des sans-culottes, légende napoléonienne, révolutions de 1948, Commune de Paris, guerre de Sécession, révolutions italienne et mexicaine, etc. Cette tradition vivace se prolonge avec les castristes cubains et les bolivariens du Venezuela, contemporains de la propagande par l’image (celle du Che, par exemple), tout comme l’art fasciste des années 1930 qui inspire la couverture de ce livre. De même, les beaux-arts ont souvent servi les politiques : le grand David illustra et la mythologie et le sacre de Bonaparte ! Quant aux arts décoratifs (dit mineurs comme les images d’Épinal), à la bande dessinée (comics à l’américaine), à la céramique, aux bijoux et aux objets de culte, tous ont suivi la mode, le goût et la technique de leur temps, dont ils ont parfois tiré le meilleur.
La photographie est au programme du chapitre XI, qui résume la montée en puissance de l’image fixe et celle du documentaire animé tourné, par exemple, au front pendant la Grande Guerre. Une longue section intitulée « Convaincre par l’image » résume les procédés rhétoriques exploités par des générations successives de photographes qui illustrèrent la presse pendant la longue période au cours de laquelle le journal était le principal média grand public. Consacré au cinéma, le chapitre suivant associe le septième art à la propagande politique : décrété « meilleur instrument de propagande (bolchevique) » (p. 208), ce média populaire se prêta à l’agit-prop ; il s’avéra même, dit-il, plus efficace pour véhiculer la propagande en Amérique qu’en Russie ! On se souvient à ce propos que le régime hitlérien a hérité d’un instrument exceptionnel : de nombreux films de propagande du IIIe Reich furent tournés aux fameux studios de l’UFA à Babelsberg, près de Berlin. Trois longues sections évoquent enfin les relations que les studios hollywoodiens entretinrent avec les pouvoirs publics étatsuniens pendant des lustres. Comme le précédent, ce récit se lit bien ; mais il reste marqué par le behaviorisme.
Les trois chapitres consacrés à la télévision se déploient sur une quarantaine de pages que résume cette sentence introductive :
La télévision a été pendant longtemps le plus important support de la propagande [politique]. Elle ne l’est plus à notre époque [mais] en associant l’image et le commentaire, elle répond à un besoin profond ; [de plus, elle] offre une profusion de divertissements (p. 227-228).
Suit, au chapitre XIII, un récit sur l’audiovisuel d’État « à l’ère cathodique » émaillé d’allusions à la vie politique de la Ve République et au microcosme politico-médiatique français entre 1958 et les années 2000. De la même veine, le chapitre XIV (« Persuasion par la télévision ») suggère que le petit écran viole la foule cathodique grâce à des tours de main comme l’image subliminale qu’on insère dans une séquence de programme ou de publicité ! L’argument s’appuie sur une présomption de manipulation subreptice qui fait débat : témoin actif des pratiques bolcheviques, Tchakhotine (cité ici comme Packard) y fut très sensible. Quant au chapitre XV (« Image de guerre, guerre de l’image »), il complète ces notes avec quelques cas anciens. Cette longue partie se termine ainsi : « […] le petit écran n’est plus le vecteur privilégié de diffusion des images de guerre ; la guerre de l’image se joue désormais sur les réseaux sociaux » (p. 269). C’est sans doute vrai ; mais pourquoi s’encombrer alors d’un sujet rebattu ?
À l’ère de la post-vérité…
Vient enfin le cœur du livre : dégradation de l’espace public au sens d’Habermas (public sphere) ; multiplication de l’intox et des fausses nouvelles (fake news) ; fomentation de rumeurs et diffusion de celles-ci par les réseaux sociaux, etc. Tous ces sujets divisent. Et la synthèse de l’auteur, pessimiste à nouveau, associe le temps présent aux combats de l’ombre d’antan (entre l’Est et l’Ouest) et à une éventuelle renaissance de la guerre froide. L’auteur estime que le relativisme règne partout et que le fossé s’élargit entre les très (ou trop ?) nombreuses chaînes de télévision et leurs émules sur Internet (blogues, sites, YouTube, Instagram, Netflix, etc.). Doit-on s’en étonner ? Non, bien sûr : pas pour nous qui avons connu les radios libres9 et l’effet disruptif d’Internet sur le disque et sur la musique enregistrée (Simon, 2018) : faible barrière à l’entrée et mise en œuvre simplifiée élargissent considérablement l’offre et segmentent l’audience qui gagne une variété infinie. Et c’est pourquoi l’audience des programmes généralistes s’éparpille !
Consacré à la désinformation, le chapitre XVII revient sur des questions largement abordées dans les chapitres précédents10. Colon consacre de longues pages à la situation politique étatsunienne (allitération suggérée : Fox News, Fake news !) ; il admet que ce que le public « cherche dans un discours publicitaire ou politique est la même chose que ce qu’il cherche dans le cinéma ou au théâtre : ni le vrai ni le faux ; mais quelque chose qui va au-delà du vrai et du faux ! » (p. 288). Défaitisme ? Son aporie finale est déconcertante : est-il vrai que des moyens d’information multiples, puissants, diversifiés et accessibles à tous sur Internet instituent un doute généralisé ? L’individu rationnel que nous croyons être depuis des siècles est-il condamné au dilemme de ne choisir qu’entre deux maux : soit la désespérance qui entraîna Socrate et Sénèque au suicide stoïcien, soit la lâcheté de l’universitaire François, ce héros de Michel Houellebecq (2015) qui se soumet sans broncher à l’inéluctable qu’il subit passivement ?
Rumeur et complot sont au programme du chapitre XVIII. Certes, la langue de vipère ne date pas d’hier ; elle traverse l’histoire, ourdit complots et conspirations. Propulsés par les pirates du Web, les virus informatiques perturbent la sérénité des usagers depuis que les ordinateurs sont branchés au réseau mondial ; les réseaux sociaux sont, de nos jours, propices à la reproduction sans restriction des missives qui instillent le doute, dénigrent les gens et les institutions, alimentent les sentiments intéressés ou ils qu’accompagnent la délation, l’envie ou l’ostracisme. L’anonymat autorise les « cyber-corbeaux » à empoisonner Facebook ou WhatsApp et démultiplie l’effet délétère du complotisme auquel l’auteur accorde quelques pages avant de conclure sur ce qu’il évoquait aux chapitres IV et V. En Amérique comme en Europe, les médias électroniques ont envahi les campagnes électorales qui les intègrent depuis vingt ans ; il en résulte des effets que Colon compare à ce que Lazarsfeld observait aux États-Unis dans les années 1940. Plus récemment, ces messages ont effectivement révélé leur effet viral, par exemple pour organiser les manifestations du printemps arabe en 2011, pour résister au coup de force des communistes chinois sur le territoire de Hong Kong depuis 2019 ou pour organiser les oppositions biélorusse et russe, événements trop récents pour être cités dans ce livre. Cela se rattache-t-il vraiment à la post-vérité qui titre cette quatrième partie du livre ?
Le chapitre XX revient sur la présomption de manipulation que l’auteur associe à « l’industrie du mensonge », un qualificatif qui vise des milieux industriels, professionnels, économiques ou financiers soupçonnés de tromper le consommateur. Dès les années 1950 et 1960, des critiques fustigeaient déjà des pratiques que le consumérisme a contrées depuis. Ce qui caractérise l’ère du numérique (et que ce récit omet), c’est la mondialisation qui élargit considérablement la chalandise des opérateurs occidentaux et qui attire des entreprises chinoises comme Alibaba ou Tencent, décidées à introduire chez nous des méthodes bien plus intrusives que celles que nous pratiquons, en matière d’intelligence artificielle et de reconnaissance individuelle. Ces enjeux ne doivent pas être oubliés !
S’ouvrant sur un aphorisme de Jean-Marie Domenach (1979), « la propagande c’est la guerre poursuivie par d’autres moyens » (p. 359), le dernier chapitre se lit sans ennui ; mais, pas plus que le précédent, il ne dit en quoi la cyberpropagande se différencie ou prolonge la propagande traditionnelle : la viralité d’Internet transcende-t-elle les méthodes anciennes, s’y oppose-t-elle ou les prolonge-t-elle ? Menées avec des moyens nouveaux sur les réseaux sociaux, l’intox, la désinformation et les fausses nouvelles qui se diffusent aujourd’hui sur WeChat (en Chine) ou WhatsApp (ailleurs) exercent-elles la même influence sur nos peuples que les discours et les tracts d’autrefois ? La propagande a-t-elle changé de braquet ? Nous espérions trouver des indications dans ce livre pour en juger. Mais il ne couvre pas vraiment ce que son titre annonce : Propagande, la manipulation de masse dans le monde contemporain ! Colon prolonge seulement le propos de ceux qui le guident pendant près de 400 pages : son principal inspirateur, Jacques Ellul, Jean-Marie Domenach, la revue Esprit des années 1950, Marshall McLuhan, fameux essayiste canadien mort fin 1980, et deux Étatsuniens, soit Harold Lasswell, disparu en 1978, dont l’œuvre-clé date des années 1950, et Edward Bernays, mort à 104 ans en 1995, très influent dans les années 1930.
Ces parrains sont respectables et légitimes ; mais leurs travaux sont trop antérieurs aux conditions actuelles pour évaluer des réseaux sociaux que tout distingue des médias précédents : leur ubiquité, leur gratuité apparente et leur caractère transfrontière ! Colon affirme : « […] nous sommes entrés dans l’âge de la propagande totale […] touchant un nombre croissant d’individus connectés à Internet […] nous en sommes arrivés là […] parce que l’espace public s’est rétréci » (p. 377-379). Une vue trop générale pour nourrir notre diagnostic !
Photo de couverture : Photo de Julia Kadel sur Unsplash